Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/38

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Après avoir ajusté le bracelet de façon que mon vol ne pût être découvert, j’allai le porter à Adélaïde. Madame de Lussan me dit sur cela mille choses obligeantes. Adélaïde parla peu ; elle était embarrassée ; mais je voyais à travers cet embarras la joie de m’être obligée, et cette joie m’en donnait à moi-même une bien sensible. J’ai eu dans ma vie quelques-uns de ces moments délicieux ; et, si mes malheurs n’avaient été que des malheurs ordinaires, je ne croirais pas les avoir trop achetés.

Cette petite aventure me mit tout-à-fait bien auprès de madame de Lussan ; j’étais toujours chez elle ; je voyais Adélaïde à toutes les heures, et, quoique je ne lui parlasse pas de mon amour, j’étais sûr qu’elle le connaissait, et j’avais lieu de croire que je n’étais pas haï. Les cœurs aussi sensibles que les nôtres s’entendent bien vite : tout est expressif pour eux.

Il y avait deux mois que je vivais de cette sorte, quand je reçus une lettre de mon père qui m’ordonnait de partir. Cet ordre fut un coup de foudre. J’avais été occupé tout entier du plaisir de voir et d’aimer Adélaïde. L’idée de m’en éloigner me fut toute nouvelle : la douleur de m’en séparer, les suites du procès qui était entre nos familles, se présentèrent à mon esprit avec tout ce qu’elles avaient d’odieux. Je passai la nuit dans une agitation que je ne puis exprimer. Après avoir fait cent projets qui se détruisaient l’un l’autre, il me vint tout d’un coup dans la tête de brûler les papiers que j’avais entre les mains, et qui établissaient nos droits sur les biens de la maison de Lussan. Je fus étonné que cette idée ne me fût pas