Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/388

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La voici, me dit Hippolyte en me présentant cette lettre ; je la pris en tremblant, et j’y lus ces paroles :

« Les remords dont je suis déchiré, que je n’ai cessé de sentir, même dans les moments où je me rendais le plus coupable, me forcent de vous abandonner. L’abyme de malheurs où je vous ai précipitée achève de me rendre le plus indigne de tous les hommes : si je vous avais montré mon cœur, si vous aviez connu la passion dont il était rempli, si je vous avais appris par combien de liens j’étais attaché à ce que j’adore, vous auriez surmonté une malheureuse inclination qui nous a perdus tous deux. Adieu pour jamais, je vais dans quelque coin du monde, où le souvenir de mon crime me rendra aussi misérable que je mérite de l’être. »

Quelle révolution cette lettre et ce que je venais d’entendre produisirent en moi ! Quelle tendresse se réveilla dans mon cœur ! Barbasan se présentait à mon imagination, accablé de douleur pour une faute qui n’en était plus une, que je ne lui reprochais plus, puisqu’il m’avait toujours aimée ; et, quand il eût été le plus coupable de tous les hommes, quel crime un repentir tel que le sien n’aurait-il pas effacé ? Moi seule je restais chargée de son malheur et du mien.

Cette femme, que j’avais regardée d’abord comme une rivale odieuse, devint pour moi un objet attendrissant. Je plaignais son malheur, j’excusais ses faiblesses, je sentais même de l’amitié pour elle. Pouvais-je la lui refuser ? Elle semblait n’avoir aimé Barbasan que pour me donner des preuves qu’il ne pouvait aimer que moi.