Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 3.djvu/78

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extrême mélancolie, que j’avais attribuée aux mauvais traitements de mon frère, me parut alors avoir une autre cause. Que de réflexions douloureuses se présentèrent en même temps à mon esprit ! Je me trouvais amoureux d’une personne que je ne devais point aimer, et cette personne en aimait un autre. Si elle n’aimait rien, disais-je, mon amour, quoique sans espérance, ne serait pas sans douceur ; je pourrais prétendre à son amitié, elle m’aurait tenu lieu de tout ; mais cette amitié n’est plus rien pour moi, si elle a des sentiments plus vifs pour un autre. Je sentais que je devais faire tous mes efforts pour me guérir d’une passion contraire à mon repos, et que l’honneur ne me permettait pas d’avoir. Je pris le dessein de m’éloigner, et je rentrai au château, pour dire à mon frère que j’étais obligé de partir ; mais la vue de madame de Benavidés arrêta mes résolutions. Cependant, pour me donner à moi-même un prétexte de rester près d’elle, je me persuadai que je lui étais utile pour arrêter les mauvaises humeurs de son mari.

Vous arrivâtes dans ce temps-là ; je trouvai en vous un air et des manières qui démentaient la condition sous laquelle vous paraissiez. Je vous marquai de l’amitié ; je voulus entrer dans votre confidence ; mon dessein était de vous engager ensuite à peindre madame de Benavidés ; car, malgré toutes les illusions que mon amour me faisait, j’étais toujours dans la résolution de m’éloigner, et je voulais, en me séparant d’elle pour toujours, avoir du moins son portrait. La manière dont vous répondîtes à mes avances me fit voir que je ne pouvais rien espérer de vous, et j’étais allé pour