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LIVRE TROISIÉME.




XV.
PHILOMELE ET PROGNÉ.



Autrefois Progné l’hirondelle
De sa demeure s’écarta ;
Et loin des Villes s’emporta
Dans un bois où chantoit la pauvre Philomele.
Ma sœur, luy dit Progné, comment vous portez-vous ?
Voicy tantost mille ans que l’on ne vous a vûë :
Je ne me souviens point que vous soyez venuë
Depuis le temps de Thrace habiter parmy nous.
Dites-moy, que pensez-vous faire ?
Ne quitterez-vous point ce sejour solitaire ?
Ah ! reprit Philomele, en est-il de plus doux ?
Progné luy repartit ; Et quoy, cette musique
Pour ne chanter qu’aux animaux ?
Tout au plus à quelque rustique ?
Le desert est-il fait pour des talens si beaux ?
Venez faire aux citez éclater leurs merveilles.
Aussi bien, en voyant les bois,
Sans cesse il vous souvient que Terée autrefois,
Parmi des demeures pareilles,
Exerça sa fureur sur vos divins appas.
Et c’est le souvenir d’un si cruel outrage,
Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas.
En voyant les hommes, helas !
Il m’en souvient bien davantage.