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LIVRE QUATRIÉME.

Disant ces mots il fait connoissance avec elle ;
Auprés de luy la fait asseoir ;
Prend une main, un bras, leve un coin du mouchoir,
Toutes sottises dont la Belle
Se défend avec grand respect :
Tant qu’au pere à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se ruë en cuisine.
De quand sont vos jambons ? Ils ont fort bonne mine.
Monsieur, ils sont à vous. Vrayment, dit le Seigneur,
Je les reçois, et de bon cœur.
Il déjeûne tres-bien, aussi fait sa famille,
Chiens, chevaux, et valets, tous gens bien endentez :
Il commande chez l’hoste, y prend des libertez,
Boit son vin, caresse sa fille.
L’embarras des Chasseurs succede au dejeuné.
Chacun, s’anime et se prepare :
Les trompes et les cors font un tel tintamarre,
Que le bon homme est estonné.
Le pis fut que l’on mit en piteux équipage
Le pauvre potager ; adieu planches, quarreaux ;
Adieu chicorée et poreaux ;
Adieu dequoy mettre au potage.
Le Lievre estoit gisté dessous un maistre chou.
On le queste, on le lance : il s’enfuit par un trou,
Non pas trou, mais troüée, horrible et large playe
Que l’on fit à la pauvre haye
Par ordre du Seigneur ; car il eust esté mal
Qu’on n’eust pû du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disoit : Ce sont là jeux de Prince :
Mais on le laissoit dire : et les chiens, et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps,
Que n’en auroient fait en cent ans
Tous les Lievres de la Province.

Petits Princes, vuidez vos debats entre vous :
De recourir aux Rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ny les faire entrer sur vos terres.