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LIVRE QUATRIÉME.

La Deesse aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis par tout la terreur
En publiant l’Edit du nouvel Empereur,
Les Animaux, et toute espece lige
De son seul appetit, creurent que cette fois,
Il falloit subir d’autres loix.
On s’assemble au desert ; tous quittent leur taniere.
Apres divers avis, on résout, on conclut
D’envoyer hommage et tribut.
Pour l’hommage et pour la maniere.
Le Singe en fut chargé : l’on luy mit par écrit
Ce que l’on vouloit qui fût dit.
Le seul tribut les tint en peine.
Car que donner ? il faloit de l’argent.
On en prit d’un Prince obligeant,
Qui possedant dans son domaine
Des mines d’or fournit ce qu’on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le Mulet et l’Asne s’offrirent,
Assistez du Cheval ainsi que du Chameau.
Tous quatre en chemin ils se mirent
Avec le Singe, Ambassadeur nouveau.
La Caravanne enfin rencontre en un passage
Monseigneur le Lion. Cela ne leur plût point.
Nous nous rencontrons tout à point.
Dit-il, et nous voicy compagnons de voyage.
J’allois offrir mon fait à part ;
Mais bien qu’il soit leger, tout fardeau m’embarasse.
Obligez-moy de me faire la grace
Que d’en porter chacun un quart.
Ce ne vous sera pas une charge trop grande,
Et j’en seray plus libre, et bien plus en estat,
En cas que les voleurs attaquent nostre bande,
Et que l’on en vienne au combat.
Econduire un Lion rarement se pratique.
Le voilà donc admis, soulagé, bien reçû,
Et mal-gré le Heros de Jupiter issû,
Faisant chere et vivant sur la bourse publique.