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LIVRE QUATRIÉME.

Et l’on ne voyoit point, comme au Siecle où nous sommes,
Tant de selles et tant de basts,
Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses ;
Comme aussi ne voyoit-on pas
Tant de festins et tant de nopces.
Or un Cheval eust alors différent
Avec un Cerf plein de vîtesse,
Et ne pouvant l’attraper en courant,
Il eut recours à l’Homme, implora son adresse.
L’Homme luy mit un frein, luy sauta sur le dos,
Ne luy donna point de repos
Que le Cerf ne fût pris, et n’y laissast la vie.
Et cela fait le Cheval remercie
L’Homme son bien-faiteur, disant, Je suis à vous,
Adieu. Je m’en retourne en mon sejour sauvage.
Non pas cela, dit l’Homme, il fait meilleur chez nous :
Je vois trop quel est vostre usage.
Demeurez donc, vous serez bien traité,
Et jusqu’au ventre en la litiere.

Helas ! que sert la bonne chere
Quand on n’a pas la liberté ?
Le Cheval s’apperçeut qu’il avoit fait folie ;
Mais il n’estoit plus temps : déjà son écurie
Estoit preste et toute bastie.
Il y mourut en traînant son lien ;
Sage s’il eust remis une legere offense.
Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C’est l’acheter trop cher, que l’acheter d’un bien
Sans qui les autres ne sont rien.



La Fontaine. — I.
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