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PREFACE.

je demanderois seulement qu’il en relaschast quelque peu, et qu’il creust que les Graces Lacedemoniennes ne sont pas tellement ennemies des Muses Françoises, que l’on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Aprés tout, je n’ay entrepris la chose que sur l’exemple, je ne veux pas dire des Anciens, qui ne tire point à consequence pour moy, mais sur celuy des Modernes. C’est de tous temps, et chez tous les peuples qui font profession de Poësie, que le Parnasse a jugé cecy de son Appanage. A peine les Fables qu’on a attribuë à

    troisième et la quatrième de ses lettres à Olinde, écrites en 1659, nous offrent des modèles de ces apologues en prose sans aucun ornement, auxquels il vouloit qu’on s’en tînt. Leur extrême briéveté nous permet de les mettre sous les yeux du lecteur qui pourra les comparer aux fables dans lesquelles La Fontaine a traité les mêmes sujets.

    Apologue de l’Idole.

    Un pauvre homme qui avoit chez lui un dieu de bois, prioit tous les jours ce dieu de le tirer de la misere où il se trouvoit. Enfin voyant que toutes ses dévotions lui étoient infructueuses, de dépit il prend l’Idole, et le jettant de grande force contre terre, il le met en pieces. L’Idole au dedans étoit plein d’or ; et aussitôt qu’il fut brisé, cet or parut. Le pauvre homme le ramasse, et s’écrie en le ramassant : Que tu es méchant ! Que tu es ingrat ! Quand je t’adorois, tu ne m’as fait aucun bien ; et maintenant que je viens de t’outrager, tu m’as enrichi.

    Apologue du Vieillard et de la Mort.

    Un pauvre homme chargé d’années, coupe du bois dans une forêt, et l’emporte sur ses épaules. Après avoir cheminé longtemps avec grand travail, enfin le cœur et les forces lui manquant, il jette son fardeau par terre, et las d’une vie si malheureuse, souhaite et appelle cent fois la mort. La mort vient, et lui demande ce qu’il veut d’elle. Le vieillard épouvanté : Je veux, dit-il, que tu m’aides à me charger.