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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/142

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136
FABLES CHOISIES.


XX.
L’AVARE QUI A PERDU SON
TRESOR.



L’Usage seulement fait la possession.
Je demande à ces gens, de qui la passion
Est d’entasser toûjours, mettre somme sur somme.
Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme.
Diogene là-bas est aussi riche qu’eux ;
Et l’Avare icy haut, comme luy vit en gueux.
L’homme au tresor caché qu’Esope nous propose.
Servira d’exemple à la chose.
Ce mal-heureux attendoit
Pour joüir de son bien une seconde vie ;
Ne possedoit pas l’or ; mais l’or le possedoit.
Il avoit dans la terre une somme enfoüie ;
Son cœur avec ; n’ayant autre deduit,
Que d’y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance à luy-mesme sacrée.
Qu’il allast ou qu’il vinst, qu’il bust ou qu’il mangeast,
On l’eust pris de bien court à moins qu’il ne songeast
A l’endroit où gisoit cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu’un Fossoyeur le vid ;
Se douta du dépost, l’enleva sans rien dire.
Nostre Avare un beau jour ne trouva que le nid.
Voila mon homme aux pleurs ; il gemit, il soûpire,
Il se tourmente, il se déchire.
Un passant luy demande à quel sujet ses cris.
C’est mon tresor que l’on m’a pris.
Vostre tresor ? Où pris ? Tout joignant cette pierre.
Eh sommes-nous en temps de guerre