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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/172

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FABLES CHOISIES.

J’avois franchy les Monts qui bornent cét Etat ;
Et trotois comme un jeune Rat
Qui cherche à se donner carriere.
Lors que deux animaux m’ont arresté les yeux ;
L’un doux, benin et gracieux ;
Et l’autre turbulent et plein d’inquietude.
Il a la voix perçante et rude ;
Sur la teste un morceau de chair ;
Une sorte de bras dont il s’éleve en l’air,
Comme pour prendre sa volée ;
La queuë en panache étalée.
Or c’estoit un Cochet dont nostre Souriçeau
Fit à sa mere le tableau.
Comme d’un animal venu de l’Amerique.
Il se batoit, dit-il, les flancs avec ses bras.
Faisant tel bruit et tel fracas,
Que moy, qui grace aux Dieux de courage me pique,
En ay pris la fuite de peur,
Le maudissant de tres-bon cœur.
Sans luy j’aurois fait connoissance
Avec cet animal qui m’a semblé si doux.
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queuë, une humble contenance ;
Un modeste regard, et pourtant l’œil luisant ;
Je le crois fort sympatisant
Avec messieurs les Rats ; car il a des oreilles
En figure aux nostres pareilles.
Je l’allois aborder ; quand d’un son plein d’éclat
L’autre m’a fait prendre la fuite.
Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
Qui sous son minois hypocrite
Contre toute ta parenté
D’un malin vouloir est porté.
L’autre animal tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal faire.
Servira quelque jour peut-estre à nos repas.
Quant au Chat ; c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine.
Garde-toy tant que tu vivras
De juger des gens sur la mine.