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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/178

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FABLES CHOISIES.

Il fut couché tout le dernier.
Autre plainte. Quoy donc, dit le Sort en colere,
Ce Baudet-cy m’occupe autant
Que cent Monarques pourroient faire.
Croit-il estre le seul qui ne soit pas content ?
N’ay-je en l’esprit que son affaire ?
Le Sort avoit raison ; tous gens sont ainsi faits :
Nostre condition jamais ne nous contente ;
La pire est toûjours la presente.
Nous fatiguons le Ciel à force de placets.
Qu’à chacun Jupiter accorde sa requeste ;
Nous lui romprons encor la teste.




XII.
LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.



Aux nopces d’un Tyran tout le Peuple en liesse
Noyoit son soucy dans les pots.
Esope seul trouvoit que les gens estoient sots
De témoigner tant d’allegresse.
Le Soleil, disoit-il, eust dessein autrefois
De songer à l’Hymenée.
Aussi-tost on oüit d’une commune voix
Se plaindre de leur destinée
Les Citoyennes des étangs.
Que ferons-nous s’il luy vient des enfans ?
Dirent-elles au Sort, un seul Soleil à peine
Se peut souffrir. Une demy-douzaine
Mettra la Mer à sec et tous ses habitans.
Adieu joncs et marests ; Nostre race est détruite.
Bien-tost on la verra reduite
A l’eau du Styx. Pour un pauvre Animal
Grenoüilles à mon sens ne raisonnoient pas mal.