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LIVRE SEPTIÉME.




XIII.
L’INGRATITUDE ET L’INJUSTICE
DES HOMMES ENVERS LA FORTUNE.



Un trafiquant sur mer par bon-heur s’enrichit.
Il triompha des vents pendant plus d’un voyage,
Goufre, banc, ny rocher, n’exigea de peage
D’aucun de ses balots ; le sort l’en affranchit.
Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune
Recüeillirent leur droit, tandis que la Fortune
Prenoit soin d’amener son marchand à bon port.
Facteurs, associez, chacun luy fut fidele.
Il vendit son tabac, son sucre, sa canele
Ce qu’il voulut, sa porcelaine encor.
Le luxe et la folie enflerent son trésor ;
Bref il plût dans son escarcelle.
On ne partait chez luy que par doubles ducats.
Et mon homme d’avoir chiens, chevaux, et carosses.
Ses jours de jeûne estoient des nopces.
Un sien amy voyant ces somptueux repas,
Luy dit : Et d’où vient donc un si bon ordinaire ?
Et d’où me viendroit-il que de mon sçavoir faire ?
Je n’en dois rien qu’à moy, qu’à mes soins, qu’au talent
De risquer à propos, et bien placer l’argent.
Le profit luy semblant une fort douce chose,
Il risqua de nouveau le gain qu’il avoit fait ;
Mais rien pour cette fois ne luy vint à souhait.
Son imprudence en fut la cause.
Un vaisseau mal freté perit au premier vent.
Un autre mal pourveu des armes necessaires
Fut enlevé par les Corsaires.