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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/22

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PRÉFACE.

Il ne reste plus qu’à parler de la vie d’Esope. Je ne vois presque personne qui ne tienne pour Fabuleuse celle que Planude nous a laissée. On s’imagine que cét Auteur a voulu donner à son Heros un Caractere, et des avantures qui répondissent à ses Fables. Cela m’a paru d’abord specieux ; mais j’ay trouvé à la fin peu de certitude en cette Critique. Elle est en partie fondée sur ce qui se passe entre Xantus et Esope : on y trouve trop de niaiseries : et qui est le Sage à qui de pareilles choses n’arrivent point ? Toute la vie de Socrate n’a pas esté serieuse. Ce qui me confirme en mon sentiment, c’est que le Caractere que Planude donne à Esope, est semblable à celuy que Plutarque luy a donné dans son Banquet des sept-Sages, c’est-à-dire d’un homme subtil, et qui ne laisse rien passer. On me dira que le Banquet des sept-Sages est aussi une invention. Il est aisé de douter de tout : quant à moy je ne vois pas bien pourquoy Plutarque auroit voulu imposer à la postérité dans ce Traité-là, luy qui fait profession d’estre veritable par tout ailleurs, et de conserver à chacun son Caractere. Quand cela seroit, je ne sçaurois que mentir sur la foy d’autruy : me croira-t-on moins que si je me m’arreste à la mienne ? car ce que je puis est de composer un tissu de mes Conjectures, lequel j’intituleray Vie d’Esope. Quelque vraysemblable que je le rende, on ne s’y asseurera pas ; et Fable pour Fable le Lecteur preferera toûjours celle de Planude à la mienne.