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LIVRE HUITIÉME.

Dans les lieux que l’Ours habitoit ;
Si bien que tout Ours qu’il estoit
Il vint à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livroit à la mélancholie,
Non loin de là certain vieillard
S’ennuyoit aussi de sa part.
Il aimoit les jardins, estoit Prestre de Flore,
Il l’estoit de Pomone encore :
Ces deux emplois sont beaux ; Mais je voudrois parmy
Quelque doux et discret amy.
Les jardins parlent peu ; si ce n’est dans mon livre ;
De façon que lassé de vivre
Avec des gens muets nostre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
L’Ours porte d’un mesme dessein
Venoit de quitter sa montagne :
Tous deux par un cas surprenant
Se rencontrent en un tournant.
L’homme eut peur : mais comment esquiver ; et que faire ?
Se tirer en Gascon d’une semblable affaire
Est le mieux : Il sceut donc dissimuler sa peur.
L’Ours tres-mauvais complimenteur
Luy dit ; Vien-t’en me voir. L’autre reprit, Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire
Tant d’honneur que d’y prendre un champestre repas,
J’ay des fruits, j’ay du lait ; Ce n’est peut-estre pas
De Nosseigneurs les Ours le manger ordinaire ;
Mais j’offre ce que j’ay. L’Ours l’accepte ; et d’aller.
Les voila bons amis avant que d’arriver.
Arrivez, les voila, se trouvant bien ensemble ;
Et bien qu’on soit à ce qu’il semble
Beaucoup mieux seul qu’avec des sots,
Comme l’Ours en un jour ne disoit pas deux mots
L’homme pouvoit sans bruit vaquer à son ouvrage.
L’Ours alloit à la chasse, apportoit du gibier,
Faisoit son principal mestier
D’estre bon émoucheur, écartoit du visage
De son amy dormant ce parasite aislé