Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
LIVRE HUITIÉME.

Que les obseques se feroient
Un tel jour, en tel lieu ; ses Prevosts y seroient
Pour regler la ceremonie,
Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s’y trouva.
Le Prince aux cris s’abandonna,
Et tout son antre en résonna.
Les Lions n’ont point d’autre temple.
On entendit à son exemple
Rugir en leur patois Messieurs les Courtisans.
Je definis la cour un païs où les gens
Tristes, gais, prests à tout, à tout indifferens,
Sont ce qu’il plaist au Prince, ou s’ils ne peuvent l’estre,
Taschent au moins de le parêtre.
Peuple caméleon, peuple singe du maître ;
On diroit qu’un esprit anime mille corps ;
C’est bien à que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à nostre affaire
Le Cerf ne pleura point, comment eust-il pû faire ?
Cette mort le vengeoit ; la Reine avoit jadis
Etranglé sa femme et son fils.
Bref il ne pleura point. Un flateur l’alla dire.
Et soûtint qu’il l’avoit veu rire.
La colere du Roy, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du Roy Lion[1] :
Mais ce Cerf n’avoit pas accoustumé de lire.
Le Monarque luy dit, Chetif hoste des bois
Tu ris, tu ne suis pas ces gemissantes voix.
Nous n’appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrez ongles ; venez Loups,
Vengez la Reine, immolez tous
Ce traistre à ses augustes manes.
Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est icy superfluë.

  1. Sicut rugitus leonis, ita et terror regis ; qui provocat eum, peccat in animam suam (Liber Proverbiorum, cap. XX, 2).