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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/278

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272
FABLES CHOISIES.




X.
LE LOUP ET LE CHIEN MAIGRE.



Autrefois Carpillon fretin
Eut beau prêcher, il eut beau dire ;
On le mit dans la poësle à frire[1].
Je fis voir que lâcher ce qu’on a dans la main
Sous espoir de grosse avanture,
Est imprudence toute pure.
Le Pêcheur eut raison ; Carpillon n’eut pas tort.
Chacun dit ce qu’il peut pour défendre sa vie.
Maintenant il faut que j’appuye
Ce que j’avançay lors, de quelque trait encor.
Certain Loup aussi sot que le pêcheur fut sage,
Trouvant un Chien hors du village,
S’en alloit l’emporter ; le Chien representa
Sa maigreur. Jà ne plaise à vostre Seigneurie,
De me prendre en cet estat-là,
Attendez, mon maistre marie
Sa fille unique ; Et vous jugez
Qu’estant de nopce il faut mal-gré moy que j’engraisse.
Le Loup le croit, le Loup le laisse ;
Le Loup quelques jours ecoulez
Revient voir si son Chien n’est point meilleur à prendre.
Mais le drôle estoit au logis.
Il dit au Loup par un treillis :
Amy, je vais sortir ; Et, si tu veux attendre,
Le portier du logis et moy
Nous serons tout à l’heuré à toy.
Ce portier du logis estoit un Chien énorme,

  1. Voyez ci-dessus, pages 145 et 146.