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LIVRE DIXIÉME.

Que cette suite de travaux
Pour récompense avoit de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré ; puis quand il estoit vieux,
On croyoit l’honorer chaque fois que les hommes
Achetoient de son sang l’indulgence des Dieux.
Ainsi parla le Bœuf. L’homme dit : Faisons taire
Cet ennuyeux déclamateur.
Il cherche de grands mots, et vient icy se faire.
Au lieu d’arbitre, accusateur.
Je le récusé aussi. L’arbre estant pris pour juge,
Ce fut bien pis encor. Il servoit de refuge
Contre le chaud, la pluye, et la fureur des vents ;
Pour nous seuls il ornoit les jardins et les champs.
L’ombrage n’estoit pas le seul bien qu’il sceust faire ;
Il courboit sous les fruits ; cependant pour salaire
Un rustre l’abattoit, c’estoit là son loyer ;
Quoy que pendant tout l’an liberal il nous donne
Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ;
L’ombre, l’Esté ; l’Hyver, les plaisirs du foyer.
Que ne l’émondoit-on sans prendre la cognée ?
De son tempérament il eust encor vécu.
L’homme trouvant mauvais que l’on l’eust convaincu,
Voulut à toute force avoir cause gagnée.
Je suis bien bon, dit-il, d’écouter ces gens-là.
Du sac et du serpent aussi-tost il donna
Contre les murs tant qu’il tua la beste.
On en use ainsi chez les grands.
La raison les offense : ils se mettent en teste
Que tout est né pour eux, quadrupedes, et gens,
Et serpens.
Si quelqu’un desserre les dents,
C’est un sot. J’en conviens. Mais que faut-il donc faire ?
Parler de loin ; ou bien se taire.