Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
LIVRE DIXIÉME.

Elle tombe, elle creve aux pieds des regardans.
Son indiscretion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité
Ont ensemble estroit parentage ;
Ce sont enfans tous d’un lignage.




III.
LES POISSONS ET LE CORMORAN.



Il n’estoit point d’étang dans tout le voisinage
Qu’un Cormoran n’eust mis à contribution.
Viviers et reservoirs luy payoient pension :
Sa cuisine alloit bien ; mais lors que le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La mesme cuisine alla mal.
Tout Cormoran se sert de pourvoyeur luy-mesme.
Le nostre un peu trop vieux pour voir au fond des eaus,
N’ayant ny filets ny rezeaus,
Souffroit une disette extreme.
Que fit-il ? le besoin, docteur en stratagême,
Luy fournit celuy-cy. Sur le bord d’un Estang
Cormoran vid une Ecrevisse.
Ma commere, dit-il, allez tout à l’instant
Porter un avis important
A ce peuple ; Il faut qu’il perisse :
Le maistre de ce lieu dans huit jours peschera :
L’Ecrevisse en haste s’en va
Conter le cas : grande est l’émute.
On court, on s’assemble, on députe
A l’oiseau. Seigneur Cormoran,
D’où vous vient cet avis ? quel est vostre garand ?
Estes-vous seur de cette affaire ?
N’y sçavez-vous remede ? et qu’est-il bon de faire ?