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FABLES CHOISIES.

Chantoit un jour le long des bords
D’une onde arrosant dés prairies,
Dont Zephire habitoit les campagnes fleuries.
Annette cependant, à la ligne peschoit ;
Mais nul poisson ne s’approchoit.
La Bergere perdoit ses peines.
Le Berger qui par ses chansons
Eust attiré des inhumaines,
Crut, et crut mal, attirer des poissons.
Il leur chanta cecy. Citoyens de cette onde,
Laissez vostre Nayade en sa grote profonde.
Venez voir un objet mille fois plus charmant.
Ne craignez point d’entrer aux prisons de la Belle :
Ce n’est qu’à nous qu’elle est cruelle :
Vous serez traitez doucement,
On n’en veut point à vostre vie :
Un vivier vous attend plus clair que fin cristal.
Et quand à quelques-uns l’appast seroit fatal,
Mourir des mains d’Annette est un sort que j’envie.
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet ;
L’auditoire estoit sourd aussi bien que muet.
Tyrcis eut beau prescher : ses paroles miellées
S’en estant aux vents envolées,
Il tendit un long rets. Voila les poissons pris,
Voila les poissons mis aux pieds de la Bergere.
O vous Pasteurs d’humains .et non pas de brebis :
Rois qui croyez gagner par raisons les esprits
D’une multitude étrangère,
Ce n’est jamais par-là que l’on en vient à bout :
Il y faut une autre maniere,
Servez-vous de vos rets, la puissance fait tout.