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FABLES CHOISIES.

Pour dire mieux, l’oiseau ne parlant plus
Fait qu’en fureur sur le fils du Monarque
Son pere s’en va fondre, et luy creve les yeux.
Il se sauve aussi-tost, et choisit pour azile
Le haut d’un Pin. Là dans le sein des Dieux
Il gouste sa vengeance en lieu seur et tranquille.
Le Roy luy-mesme y court, et dit pour l’attirer :
Amy, reviens chez moy ; que nous sert de pleurer ?
Haine, vengeance et deüil, laissons tout à la porte.
Je suis contraint de déclarer,
Encor que ma douleur soit forte,
Que le tort vient de nous ; mon fils fut l’agresseur :
Mon fils ! non ; C’est le sort qui du coup est l’autheur.
La Parque avoit écrit de tout temps en son livre
Que l’un de nos enfans devoit cesser de vivre,
L’autre de voir, par ce malheur.
Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage.
Le Perroquet dit : Sire Roy,
Crois-tu qu’après un tel outrage
Je me doive fier à toy ?
Tu m’allegues le sort ; prétens-tu par ta foy
Me leurrer de l’appast d’un profane langage ?
Mais que la providence ou bien que le destin
Regle les affaires du monde,
Il est écrit là-haut qu’au faiste de ce pin
Ou dans quelque Forest profonde
J’acheveray mes jours loin du fatal objet
Qui doit t’estre un juste sujet
De haine et de fureur. Je sçay que la vengeance
Est un morceau de Roy, car vous vivez en Dieux.
Tu veux oublier cette offense :
Je le crois : cependant, il me faut pour le mieux
Eviter ta main et tes yeux.
Sire Roy mon amy, va-t’en, tu perds ta peine,
Ne me parle point de retour :
L’absence est aussi bien un remede à la haine
Qu’un appareil contre l’amour.