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FABLES CHOISIES.




DISCOURS
A MONSIEUR LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULT[1].


XIV.



Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L’homme agit, et qu’il se comporte
En mille occasions comme les animaux :
Le Roy de ces gens-là n’a pas moins de defaux
Que ses sujets, et la nature
A mis dans chaque creature
Quelque grain d’une masse où puisent les esprits :
J’entens les esprits corps, et paitris de matiere.
Je vais prouver ce que je dis.
A l’heure de l’affust, soit lors que la lumiere
Précipite ses traits dans l’humide sejour ;
Soit lors que le Soleil rentre dans sa carriere,
Et que n’estant plus nuit, il n’est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe ;
Et nouveau Jupiter du haut de cet olympe,
Je foudroye à discretion
Un lapin qui n’y pensoit guere.
Je vois fuir aussi-tost toute la nation
Des lapins qui sur la Bruyere,
L’œil éveillé, l’oreille au guet,
S’égayoient et de thim parfumoient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S’en va chercher sa seureté
Dans la soûterraine cité :
Mais le danger s’oublie, et cette peur si grande

  1. On a généralement ajouté à ce titre, le seul que donne l’édition originale, le suivant : Les Lapins.