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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/335

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LIVRE ONZIÉME.

Assurement il radotoit.
Car au nom des Dieux, je vous prie,
Quel fruict de ce labeur, pouvez-vous recüeillir ?
Autant qu’un Patriarche il vous faudroit vieillir.
A quoy bon charger vostre vie
Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir, et les vastes pensées ;
Tout cela ne convient qu’à nous.
Il ne convient pas à vous mesmes,
Repartit le Vieillard. Tout établissement
Vient tard et dure peu. La main des Parques blesmes
De vos jours, et des miens se jouë également,
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartez de la voûte azurée
Doit joüir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d’un second seulement ?
Mes arriere-neveux me devront cét ombrage :
Hé bien défendez vous au Sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autruy ?
Cela mesme est un fruict que je gouste aujourd’huy :
J’en puis joüir demain, et quelques jours encore :
Je puis enfin compter l’Aurore
Plus d’une fois sur vos tombeaux.
Le Vieillard eut raison ; l’un des trois jouvenceaux
Se noya dés le port allant à l’Amerique.
L’autre afin de monter aux grandes dignitez,
Dans les emplois de Mars servant la Republique,
Par un coup impréveu vid ses jours emportez.
Le troisiéme tomba d’un arbre
Que luy-mesme il voulut enter :
Et pleurez du Vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.