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LIVRE DOUZIÉME.

Jettoit quelque Doublon toûjours par la fenêtre[1],
Et rendoit le compte imparfait.
La chambre bien cadenacée
Permettoit de laisser l’argent sur le comptoir.
Un beau jour Dom-bertrand se mit dans la pensée
D’en faire un sacrifice au liquide manoir.
Quant à moi, lors, que je compare
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet Avare,
Je ne sçai bonnement ausquels[2] donner le prix ;
Dom-bertrand gagneroit prés de certains esprits ;
Les raisons en seroient trop longues à déduire.
Un jour donc l’animal, qui ne songeoit qu’à nuire,
Détachoit du monceau tantôt quelque Doublon,
Un Jacobus, un Ducaton ;
Et puis quelque Noble à la rose
Eprouvoit son adresse et sa force à jetter
Ces morceaux de métail qui se font souhaiter
Par les humains sur toute chose.
S’il n’avoit entendu son Compteur à la fin
Mettre la clef dans la serrure,
Les Ducats auroient tous pris le même chemin,
Et couru la même avanture.
Il les auroit fait tous voter, jusqu’au dernier[3].
Dans le goufre enrichi par maint et maint naufrage.
Dieu veuille préserver maint et maint Financier
Qui n’en fait pas meilleur usage.

  1. Jettoit quelques doublons, souvent par la fenestre.
    (Les Œuvres postumes.)
  2. Auquel, dans le Mercure galant et Les Œuvres postumes.
  3. Au lieu des onze vers qui précèdent, on lit dans la première rédaction les cinq suivants :

    S’il n’eust ouy l’homme rentrer
    Eust jetté, sans considérer
    L’estime que l’on fait des biens de cette espece,
    Tous ces beaux ducats piece à piece
    Il les eust fait voler tous jusques au dernier.

    (Mercure galant et Les Œuvres postumes.)