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LIVRE PREMIER.

Fait rider la face de l’eau
Vous oblige à baisser la teste :
Cependant que mon front au Caucase pareil,
Non content d’arrester les rayons du Soleil,
Brave l’effort de la tempeste.
Tout vous est Aquilon ; tout me semble Zephir.
Encor si vous naissiez à l’abry du feüillage
Dont je couvre le voisinage ;
Vous n’auriez pas tant à souffrir ;
Je vous défendrois de l’orage :
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Vostre compassion, luy répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce soucy.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’icy
Contre leurs coups épouvantables
Resisté sans courber le dos :
Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l’Orizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfans
Que le Nort eust portez jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon, le Roseau plie :
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celuy de qui la teste au Ciel estoit voisine,
Et dont les pieds touchoient à l’empire des morts[1].



  1. Virgile a dit (Géorg., II, v. 292) :
    ……… Quæ quantùm vertice ad auras
    Æthereas, tantùm radice in Tartara tendit.