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LIVRE DEUXIÉME.


II.
CONSEIL TENU PAR LES RATS.



Un Chat nommé Rodilardus,
Faisoit de Rats telle déconfiture,
Que l’on n’en voyoit presque plus,
Tant il en avoit mis dedans la sepulture.
Le peu qu’il en restoit n’osant quitter son trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de son sou ;
Et Rodilard passoit chez la gent miserable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.
Or un jour qu’au haut et au loin
Le galand alla chercher femme,
Pendant tout le sabat qu’il fit avec sa Dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la necessité présente.
Dés l’abord leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu’il faloit, et plustot que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi quand il iroit en guerre
De sa marche avertis il s’enfuiroient sous terre ;
Qu’il n’y sçavoit que ce moyen.
Chacun fut de l’avis de Monsieur le Doyen.
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d’attacher le grelot.
L’un dit : Je n’y vas point, je ne suis pas si sot :
L’autre : Je ne sçaurois. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J’ay maints Chapitres vus
Qui pour neant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de Rats, mais Chapitres de Moines,
Voire Chapitres de Chanoines.

Ne faut-il que deliberer ?
La Cour en Conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’executer ?
L’on ne rencontre plus personne.

La Fontaine. — I.
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