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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/77

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LIVRE DEUXIÉME.

Donnez-la luy de grace, ou l’ostez à tous deux :
C’est mon voisin, c’est mon compere.
L’Oyseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l’aisle l’Escarbot,
L’étourdit, l’oblige à se taire ;
Enleve Jean Lapin. L’Escarbot indigné
Vole au nid de l’Oyseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce esperance :
Pas un seul ne fut épargné.
L’Aigle estant de retour et voyant ce ménage,
Remplit le Ciel de cris, et pour comble de rage
Ne sçait sur qui venger le tort qu’elle a souffert.
Elle gemit en vain, sa plainte au vent se perd.
Il falut pour cét an vivre en mere affligée.
L’an suivant elle mit son nid en lieu plus haut.
L’Escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :
La mort de Jean Lapin derechef est vangée.
Ce second deüil fut tel que l’echo de ces bois
N’en dormit de plus de six mois.
L’Oyseau qui porte Ganimede,
Du Monarque des Dieux enfin implore l’aide ;
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu’en paix
Ils seront dans ce lieu, que pour ses interests
Jupiter se verra contraint de les défendre.
Hardy qui les iroit là prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemy changea de note,
Sur la robe du Dieu fit tomber une crote :
Le Dieu la secoüant jetta les œufs à bas,
Quand l’Aigle sceut l’inadvertance,
Elle menaça Jupiter
D’abandonner sa Cour, d’aller vivre au desert[1] :

  1. On lit ici dans l’édition de 1668, et même dans l’édition de 1678 que nous suivons d’ordinaire, le vers suivant :
    De quitter toute dépendance
    qui est retranché dans une autre édition portant également la date de 1678.