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DEUXIESME PARTIE.

Vint au-dessus de ce qu’elle entreprit.
Passons au tour que la troisiéme fit.
  Les rendez-vous chez quelque bonne amie
Ne luy manquoient non plus que l’eau du puits.
Là tous les jours estoient nouveaux déduits.
Nostre Donzelle y tenoit sa partie.
Un sien Amant estant lors de quartier,
Ne croyant pas qu’un plaisir fust entier
S’il n’estoit libre, à la Dame propose
De se trouver seuls ensemble une nuit.
Deux, luy dit-elle, et pour si peu de chose
Vous ne serez nullement éconduit.
Jà de par moy ne manquera l’affaire.
De mon mary je sçauray me défaire
Pendant ce temps. Aussi-tost fait que dit.
Bon besoin eut d’estre femme d’esprit ;
Car pour Epoux elle avoit pris un homme
Qui ne faisoit en voyages grands frais ;
Il n’alloit pas querir pardons à Rome,
Quand il pouvoit en rencontrer plus prés,
Tout au rebours de la bonne Donzelle,
Qui pour monstrer sa ferveur et son zele.
Toûjours alloit au plus loin s’en pourvoir.
Pelerinage avoit fait son devoir
Plus d’une fois ; mais c’estoit le vieux style :
Il luy faloit, pour se faire valoir,
Chose qui fust plus rare et moins facile.
Elle s’attache à l’orteil dés ce soir
Un brin de fil, qui rendoit à la porte
De la maison, et puis se va coucher
Droit au costé d’Henriet Berlinguier.
(On appelloit son mary de la sorte.)
Elle fit tant qu’Henriet se tournant
Sentit le fil. Aussi-tost il soupçonne
Quelque dessein, et, sans faire semblant
D’estre éveillé, sur ce fait il raisonne,
Se leve enfin, et sort tout doucement,
De bonne foy son Epouse dormant,

La Fontaine. -- II.