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CONTES ET NOUVELLES.

La Belle avoit dequoy mettre un Gascon aux Cieux,
Des attraits par-dessus les yeux,
Je ne sçay quel air de pucelle,
Mais le cœur tant soit peu rebelle ;
Rebelle toutesfois de la bonne façon.
Voilà Philis. Quant au Gascon,
Il estoit Gascon, c’est tout dire.
Je laisse à penser si le sire
Importuna la Veuve, et s’il fit des sermens.
Ceux des Gascons et des Normans
Passent peu pour mots d’Evangile.
C’estoit pourtant chose facile
De croire Dorilas de Philis amoureux ;
Mais il vouloit aussi que l’on le crust heureux.
Philis, dissimulant, dit un jour & cet homme :
Je veux un service de vous :
Ce n’est pas d’aller jusqu’à Rome ;
C’est que vous nous aydiez à tromper un jaloux.
La chose est sans peril, et mesme fort aisée.
Nous voulons-que cette nuit-cy
Vous couchiez avec le mary
De Cloris, qui m’en a priée.
Avec Damon s’estant broüillée,
Il leur faut une nuit entiere, et par delà,
Pour démêler entre-eux tout ce differend-là.
Nostre but est qu’Eurilas pense,
Vous sentant prés de luy, que ce soit sa moiti&.
Il ne luy touche point, vit dedans l’abstinence,
Et soit par jalousie, ou bien par impuissance,
A retranché d’Hymen certains droits d’amitié ;
Ronfle toûjours, fait la nuit d’une traite :
C’est assez qu’en son lit il trouve une cornette.
Nous vous ajusterons : enfin, ne craignez rien ;
Je vous recompenseray bien.
Pour se rendre Philis un peu plus favorable,
Le Gascon eust couché, dit-il, avec le diable.
La nuit vient, on le coëfe, on le met au grand lit,
On esteint les flambeaux, Eurilas prend sa place ;