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CONTES ET NOUVELLES.

Tous deux brûloient sans oser se le dire ;
Ou s’ils se le disoient, ce n’estoit que des yeux.
Comme ils en estoient là, l’on accorda la Belle.
Il falut se resoudre à partir de ces lieux.
Zaïr fit embarquer son Amant avec elle.
S’en fier à quelque-autre eust peut-estre esté mieux[1].
 
Aprés huit jours de traite, un vaisseau de Corsaires,
    Ayant pris le dessus du vent,
  Les attaqua ; le combat fut sanglant ;
Chacun des deux partis y fit mal ses affaires.
  Les assaillans, faits aux combats de mer,
Estoient les plus experts en l’art de massacrer ;
Joignoient l’adresse au nombre : Hispal par sa vaillance
       Tenoit les choses en balance.
Vingt Corsaires pourtant monterent sur son bord.
   Grifonio le Gigantesque
   Conduisoit l’horreur et la mort
   Avecque cette Soldatesque.
Hispal en un moment se vit environné :
Maint Corsaire sentit son bras determiné :
De ses yeux il sortoit des éclairs et des flâmes.
Cependant qu’il estoit au combat acharné,
Grifonio courut à la chambre des femmes.
Il sçavoit que l’Infante estoit dans ce vaisseau,
Et l’ayant destinée à ses plaisirs infames,
Il l’emportoit comme un moineau ;
Mais la charge pour luy n’estant pas suffisante,
Il prit aussi la cassette aux bijoux,
Aux diamans, aux témoignages doux
   Que reçoit et garde une Amante :
   Car quelqu’un m’a dit, entre nous,
Qu’Hispal en ce voyage avoit fait à l’Infante
Un aveu dont d’abord elle parut contente,
Faute d’avoir le temps de s’en mettre en courroux.

  1. Editions de 1666 et de 1668 :
    Un autre Conducteur eust peut-estre esté mieux.