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DEUXIESME PARTIE.

Dit le Galant, prenez-vous-en à luy.
Non non, reprit alors l’Infante,
Il ne sera pas dit que l’on ait, moy presente,
Violenté cette innocente.
Je me resous plustost à toute extremité.
Ce combat plein de charité
Fut par le sort à la fin terminé.
L’Infante en eut toute la gloire :
Il luy donna sa voix, à ce que dit l’Histoire.
L’autre sortit, et l’on jura
De ne rien dire de cela.
Mais le Galant se seroit laissé pendre
Plûtost que de cacher un secret si plaisant ;
Et pour le divulguer il ne voulut attendre
Que le temps qu’il faloit pour trouver seulement
Quelqu’un qui le voulust entendre.
 
Ce changement de favoris
Devint à l’Infante une peine ;
Elle eut regret d’estre l’Helene
D’un si grand nombre de Paris.
Aussi l’Amour se joüoit d’elle.
Un jour, entre-autres, que la Belle
Dans un bois dormoit à l’écart,
Il s’y rencontra par hazard
Un Chevalier errant, grand chercheur d’avantures,
De ces sortes de gens que sur des palefrois
Les Belles suivoient autresfois
Et passoient pour chastes et pures.
Celuy-cy, qui donnoit à ses desirs l’essor,
Comme faisoient jadis Rogel[1]et Galaor,
N’eust veu la Princesse endormie,
Que de prendre un baiser il forma le dessein :
Tout prest à faire choix de la bouche ou du sein,
Il estoit sur le poinct d’en passer son envie,
Quand tout d’un coup il se souvint

  1. Ainsi dans les éditions originales ; Roger dans les éditions modernes.