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CONTES ET NOUVELLES.

Amour se mit en teste d’abaisser
Ce cœur si haut ; et pour un Gentilhomme
Jeune, bien fait, et des mieux mis de Rome,
Jusques au vif il voulut la blesser.
L’adolescent avoit pour nom Camille,
Elle Constanse. Et bien qu’il fust d’humeur
Douce, traitable, à se prendre facile,
Constanse n’eut si-tost l’amour au cœur,
Que la voila craintive devenuë.
Elle n’osa declarer ses desirs
D’autre façon qu’avecque des soûpirs.
Auparavant pudeur ny retenuë
Ne l’arrestoient ; mais tout fut bien changé.
Comme on n’eust cru qu’Amour se fust logé
En cœur si fier, Camille n’y prit garde.
Incessamment Constanse le regarde ;
Et puis soûpirs, et puis regards nouveaux ;
Toûjours resveuse au milieu des cadeaux :
Sa beauté mesme y perdit quelque chose ;
Bien-tost le lys l’emporta sur la rose.
Avint qu’un soir Camille regala
De jeunes gens : il eut aussi des femmes.
Constanse en fut. La chose se passa
Joyeusement ; car peu d’entre ces Dames
Estoient d’humeur à tenir des propos
De sainteté ny de philosophie.
Constanse seule, estant sourde aux bons mots,
Laissoit rail[er toute la compagnie.
Le soupé fait, chacun se retira.
Tout dés l’abord Constanse s’éclipsa,
S’allant cacher en certaine rüelle.
Nul n’y prit garde, et l’on crut que chez elle,
Indisposée, ou de mauvaise humeur,
Ou pour affaire elle estoit retournée.
La Compagnie estant donc retirée,
Camille dit à ses gens, par bon-heur,
Qu’on le laissast, et qu’il vouloit écrire.
Le voila seul, et comme le desire