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CONTES ET NOUVELLES.

Rendre honneste homme si je peux.
En verité, dit l’Amoureux
Conserver estoffe si chere
Ne sera point mal fait à nous.
Je cours ; c’est-fait ; je suis à vous ;
Deux minutes feront l’affaire.
Là-dessus il part, sans laisser
Le temps de luy rien repliquer.
Sa sottise guerit la Dame ;
Un tel dédain luy vint en l’ame,
Qu’elle reprit dés ce moment
Son cœur, que trop indignement
Elle avoit placé : quelle honte !
Prince des sots, dit-elle en soy,
Va, je n’ay nul regret de toy :
Tout autre eust esté mieux mon compte.
Mon bon Ange a consideré
Que tu n’avois pas merité
Une faveur si precieuse.
Je ne veux plus estre amoureuse
Que de mon mary ; j’en fais vœu.
Et de peur qu’un reste de feu
A le trahir ne me rengage,
Je vais sans tarder davantage,
Luy porter un bien qu’il auroit
Quand Nicaise en son lieu seroit.
A ces mots, la pauvre Epousée
Sort du bois fort scandalisée.
L’autre revient ; et son tapis :
Mais ce n’est plus comme jadis
Amans, la bonne heure ne sonne
A toutes les heures du jour.
J’ay leu dans l’Alphabet d’Amour
Qu’un Galand prés d’une personne
N’a toûjours le temps comme il veut :
Qu’il le prenne donc comme il peut.
Tous delays y font du dommage :
Nicaise en est un témoignage.