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PREMIERE PARTIE.

Il ne faut pas que je m’irrite
D’estre quitté pour un Valet.
Ce penser le console : il reprend tous ses charmes ;
Il devient plus beau que jamais :
Telle pour luy verse des larmes,
Qui se moquoit de ses attraits.
C’est à qui l’aymera : la plus prude s’en pique ;
Astolphe y perd mainte pratique.
Cela n’en fut que-mieux ; il en avoit assez.
Retournons aux Amans que nous avons laissez.
Aprés avoir tout vû, le Romain se retire,
Bien empesché de ce secret :
Il ne faut à la Cour ny trop voir, ny trop dire ;
Et peu se sont vantez du don qu’on leur a fait
Pour une semblable nouvelle :
Mais quoy, Joconde aymoit avecque trop de zele
Un Prince liberal qui le favorisoit,
Pour ne pas l’avertir du tort qu’on luy faisoit.
Or comme avec les Rois il faut plus de mystere
Qu’avecque d’autres gens sans doute il n’en faudroit,
Et que de but en blanc leur parler d’une affaire
Dont le discours leur doit déplaire,
Ce seroit estre mal adroit ;
Pour adoucir la chose, il falut que Joconde,
Depuis l’origine du Monde,
Fît un denombrement des Rois et des Cesars
Qui, sujets comme nous à ces communs hazards,
Malgré les soins dont leur grandeur se pique,
Avoient vû leurs femmes tomber
En telle ou semblable pratique,
Et l’avoient vû sans succomber
A la douleur, sans se mettre en colere,
Et sans en faire pire chere.
Moy qui vous parle, Sire, ajoûta le Romain,
Le jour que pour vous voir je me mis en chemin,
Je fus forcé par mon destin
De reconnoistre Cocuage
Pour un des Dieux du mariage,