Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
240
CONTES ET NOUVELLES.

 
Qu’oüallles sont la pluspart des personnes[1] :
Qu’il en passe une, il en passera cent ;
Tant sur les gens est l’exemple puissant !
Je le repete, et dis, vaille que vaille,
Le monde n’est que franche moutonnaille.
Du premier coup ne croyez que l’on aille
A ses perils le passage sonder ;
On est long-temps à s’entreregarder ;
Les plus hardis ont ils tenté l’affaire,
Le reste suit, et fait ce qu’il void faire.
Qu’un seul mouton se jette en la riviere,
Vous ne verrez nulle ame moutonniere
Rester au bord, tous se noyront à tas.
Maître Francois en conte un plaisant cas.
Amy Lecteur, ne te déplaira pas,
Si, sursoyant ma principale histoire,
Je te remets cette chose en memoire.
Panurge alloit l’oracle consulter ;
Il navigeoit, ayant dans la cervelle
Je ne sçais quoy qui vint l’inquieter.
Dindenaut passe, et medaille l’appelle
De vray cocu. Dindenaut dans sa nef
Menoit moutons. Vendez m’en un, dit l’autre.
Voire, reprit Dindenaut, l’amy nostre,
Penseriez-vous qu’on pust venir à chef
D’assez priser ny vendre telle aumaille ?
Panurge dit : nôtre ami, coûte et vaille,
Vendez m’en un pour or ou pour argent.
Un fut vendu. Panurge incontinent
Le jette en mer ; et les autres de suivre.
Au diable l’un, à ce que dit le livre,
Qui demeura. Dindenaut au collet
Prend un belier, et le belier l’entraisne.
Adieu mon homme : il va boire au godet.
Or revenons : ce prologue me meine

  1. A partir de 1685 :
    Que Brebis sont la plûpart des personnes.