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QUATRIESME PARTIE.

Trocquent de femme ainsi que de monture ?
Nostre Pasteur a bien trocqué de Cure[1] :
La Femme est-elle un cas si different ?
Et pargué non ; car Messire Gregoire
Disoit toûjours, si j’ay bonne memoire :
Mes brebis sont ma femme. Cependant
Il a changé : changeons aussi, compere.
Trés-volontiers, reprit l’autre Manant ;
Mais tu sçais bien que nostre mesnagere
Est la plus belle : or ça, Sire Oudinet,
Sera-ce trop s’il donne son Mulet
Pour le retour ? Mon Mulet ! et parguenne,
Dit le premier des Villageois susdits,
Chacune vaut en ce monde son prix ;
La mienne ira but à but pour la tienne ;
On ne regarde aux femmes de si prés.
Point de retour ; vois-tu, compere Estienne,
Mon Mulet, c’est… c’est le roy des Mulets.
Tu ne devrois me demander mon Asne
Tant seulement : Troc pour troc, touche-là.
Sire Oudinet, raisonnant sur cela,
Dit : Il est vray que Tiennette a sur Jeanne
De l’avantage, à ce qu’il semble aux gens ;
Mais le meilleur de la beste, à mon sens,
N’est ce qu’on voit ; femmes ont maintes choses
Que je préfere, et qui sont lettres closes ;
Femmes aussi trompent assez souvent ;
Jà ne les faut éplucher trop avant.
Or sus, voisins, faisons les choses nettes :
Vous ne voulez chat en poche donner
Ny l’un ny l’autre ? Allons donc confronter
Vos deux Moitiez comme Dieu les a faites.
L’expedient ne fut gousté de tous :
Trop bien voilà Messieurs les deux époux

  1. Editions suivantes :
    Nostre Pasteur a bien changé de Cure.