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QUATRIESME PARTIE.

Dans le Village, à moins que de scandale[1] ;
Ainsi bien-tost l’un et l’autre détale,
Et va planter le picquet en un lieu,
Où tout fut bien d’abord, moyennant Dieu.
C’estoit plaisir que de les voir ensemble ;
Les femmes mesme, à l’envy des maris,
S’entredisoient en leurs menus devis :
Bon fait trocquer ; commere, à ton avis,
Si nous trocquions de Valet ? que t’en semble ?
Ce dernier troc, s’il se fit, fut secret.
L’autre d’abord eut un trés-bon effet ;
Le premier mois trés-bien ils s’en trouverent,
Mais à la fin nos gens se dégousterent.
Compere Estienne, ainsi qu’on peut penser,
Fut le premier des deux à se lasser,
Pleurant Tiennette ; il y perdoit sans doute.
Compere Gille eut regret à sa soûte ;
Il ne voulut retroquer toutesfois.
Qu’en advint-il ? Un jour, parmy les bois,
Estienne vid toute fine seulette
Prés d’un ruisseau sa défuncte Tiennette,
Qui, par hazard, dormoit sous la coudrette.
Il s’approcha, l’éveillant en sursaut.
Elle du Troc ne se souvint pour l’heure,
Dont le Galant, sans plus longue demeure,
En vint au poinct ; bref, ils firent le saut.
Le Conte dit qu’il la trouva meilleure
Qu’au premier jour. Pourquoy cela ? Pourquoy ?
Belle demande ! En l’amoureuse loy,
Pain qu’on dérobe, et qu’on mange en cachette,
Vaut mieux que pain qu’on cuit, et qu’on achete[2] :

  1. Editions suivantes :
    Dans ce Village…
  2. Editions suivantes :
    Vaut mieux que pain qu’on cuit ou qu’on achepte.