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CONTES ET NOUVELLES.

Vous voyez, luy dit-il, le visage charmant
Et les traits délicats dont la Reyne est pourveüe ;
Je vous jure ma foy que l’accompagnement
Est d’un tout autre prix, et passe infiniment ;
Ce n’est rien qui ne l’a veüe
Toute nüe.
Je vous la veux monstrer sans qu’elle en sçache rien,
Car j’en sçais un trés bon moyen ;
Mais à condition… vous m’entendez fort bien
Sans que j’en dise davantage ;
Gygés, il vous faut estre sage ;
Point de ridicule desir :
Je ne prendrois pas de plaisir
Aux vœux impertinents qu’une amour sotte et vaine
Vous feroit faire pour la Reyne,
Proposez-vous de voir tout ce corps si charmant
Comme un beau marbre seulement.
Je veux que vous disiez que l’art, que la pensée,
Que mesme le souhait ne peut aller plus loin.
Dedans le bain je l’ay laissée,
Vous estes connoisseur ; venez estre témoin
De ma felicité suprême.
Ils vont : Gygés admire. Admirer c’est trop peu :
Son étonnement est extrême.
Ce doux objet joüa son jeu.
Gygés en fut émeu, quelque effort qu’il pust faire.
Il auroit voulu se taire,
Et ne point témoigner ce qu’il avoit senti ;
Mais son silence eust fait soupçonner du mystere :
L’exageration fut le meilleur parti.
Il s’en tint donc pour averti[1] ;
Et, sans faire le fin, le froid, ny le modeste,
Chaque poinct, chaque article, eut son fait, fut loüé.
Dieux, disoit-il au Roy, quelle felicité !
Le beau corps ! le beau cuir ! ô ciel ! et tout le reste !

  1. Edition de Gaspard Migeon, 1675 :
    Il s’en tient donc pour averti.