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CONTES ET NOUVELLES.

Un mortel eust le crédit
De voir de si belles choses,
A tous mortels lettres clauses !
Tels dons estoient pour des Dieux,
Pour des Roys, voulois-je dire ;
L’un et l’autre y vient de cire,
Je ne sçais quel est le mieux.
Ces pensées incitoient la Reine à la vengeance.
Honte, despit, courroux, son cœur employa tout ;
Amour mesme, dit-on, fut de l’intelligence :
Dequoy ne vient-il point à bout ?
Gygés estoit bien fait ; on l’excusa sans peine :
Sur le monstreur d’appas tomba route la hayne.
Il estoit mari, c’est son mal ;
Et les gens de ce caractere
Ne sçauroient en aucune affaire
Commettre de peché qui ne soit capital.
Qu’est-il besoin d’user d’un plus ample prologue ?
Voila le Roy haï, voila Gygés aymé,
Voila tout fait et tout formé
Un époux du grand catalogue ;
Dignité peu briguée, et qui fleurit pourtant.
La sotise du Prince estoit d’un tel mérite,
Qu’il fut fait in petto confrere de Vulcan ;
De là jusqu’au bonnet la distance est petite.
Cela n’estoit que bien, mais la parque maudite
Fut aussi de l’intrigue, et, sans-perdre de temps,
Le pauvre Roy par nos amans
Fut deputé vers le Cocite ;
On le fit trop boire d’un coup :
Quelquefois, helas ! c’est beaucoup.
Bien tost un certain breuvage
Luy fit voir le noir rivage,
Tandis qu’aux yeux de Gygés
S’étaloient de blancs objets :
Car, fust-ce amour, fust-ce rage,
Bien-tost la Revne le mit
Sur le thrône et dans son lit.