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CONTES ET NOUVELLES.

Le Diable est sourd, le Diable n’entend point.
L’enfer s’ennuye, autant en fait la belle ;
Ce grand desir d’estre sainte s’en va.
Rustic voudroit estre depestré d’elle ;
Elle pourveoit d’elle mesme à cela.
Furtivement elle quite le sire,
Par le plus court s’en retourne chez soy.
Je suis en soin de ce qu’elle put dire
A ses parens ; c’est ce qu’en bonne foy
Jusqu’à present je n’ay bien sceu comprendre.
Apparemment elle leur fit entendre
Que son cœur, meu d’un appetit d’enfant,
L’avoit portée à tascher d’estre sainte :
Ou l’on la crut, ou l’on en fit semblant.
Sa parenté prit pour argent contant
Un tel motif : non que de quelque atteinte
A son enfer on n’eust quelque soupçon :
Mais cette chartre est faite de façon
Qu’on n’y void goute, et maint geolier s’y trompe.
Alibech fut festinée en grand pompe.
L’histoire dit que par simplicité
Elle conta la chose à ses compagnes.
Besoin n’estoit que vôtre sainteté,
Ce luy dit-on, traversast ces campagnes ;
On vous auroit, sans bouger du logis,
Mesme leçon, mesme secret appris.
Je vous aurois, dit l’une, offert mon frere :
Vous auriez eu, dit l’autre, mon cousin ;
Et Nèherbal, nôtre prochain voisin,
N’est pas non plus Novice en ce mystere.
Il vous recherche ; acceptez ce parti,
Devant qu’on soit d’un tel cas averti.
Elle le fit. Néherbal n’estoit homme
A cela prés. On donna telle somme,
Qu’avec les traits de la jeune Alibech
Il prit pour bon un enfer trés-suspect,
Usant des biens que l’Hymen nous envoye.