Ligne droite et sans nuls retours :
Va t’en y travailler et cours.
L’esprit s’en va, n’a point de cesse
Qu’il n’ait mis le fil sous la presse,
Tâché[1] de l’aplatir à grands coups de marteau,
Fait sejourner au fonds de l’eau,
Sans que la ligne fust d’un seul poinct étenduë ;
De quelque tour qu’il se servist,
Quelque secret qu’il eust, quelque charme qu’il fist,
C’estoit temps et peine perduë :
Il ne pût mettre à la raison
La toison.
Elle se revoltoit contre le vent, la pluie,
La neige, le brouillard[2] : plus Satan y touchoit,
Moins l’annelure se laschoit.
Qu’est ceci ? disoit-il ; je ne vis de ma vie
Chose de telle étoffe : il n’est point de lutin
Qui n’y perdist tout son latin.
Messire Diable un beau matin
S’en va trouver son homme, et lui dit : Je te laisse.
Aprens-moy seulement ce que c’est que cela :
Je te le rens : tien, le voila.
Je suis victus, je le confesse.
Nôtre ami Monsieur le luiton,
Dit l’homme, vous perdez un peu trop tost courage ;
Celuy-cy n’est pas seul, et, plus d’un compagnon
Vous auroit taillé de l’ouvrage.
Un peu d’esprit, beaucoup de bonne mine,
Et plus encor de liberalité,
C’est en amour une triple machine
Par qui maint fort est bien tost emporté,
Rocher fust-il ; rochers aussi se prennent.
La Fontaine.-- II. 20