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CONTES ET NOUVELLES.

Encor faut-il que vos meilleurs amis
Sçachent un peu ce qu’elle a dedans l’ame.
Je vous demande un quart d’heure sans plus.
Aldobrandin l’arrestant là-dessus :
J’en suis d’avis ! je livreray ma femme !
Ma foy, mon cher, gardez vôtre Cheval !
Quoy ! vous present ?… Moy present. Et quel mal
Encor un coup peut-il, en la présence
D’un mary fin comme vous, arriver ?
Aldobrandin commence d’y resver ;
Et raisonnant en soy : Quelle apparence
Qu’il en mêvienne en effet, moy present ?
C’est marché seur, il est fol ; à son dam.
Que prétend-il ? pour plus grande assurance,
Sans qu’il le sçache, il faut faire défense
A ma moitié de répondre au galant.
Sus, dit l’Epoux, j’y consens. La distance
De vous à nous, poursuivit nostre Amant,
Sera reiglée, afin qu’aucunement
Vous n’entendiez. Il y consent encore ;
Puis va querir sa femme en ce moment.
Quand l’autre void celle là qu’il adore,
Il se croit estre en un enchantement.
Les saluts faits, en un coin de la sale
Ils se vont seoir. Nôtre galant n’étale
Un long narré, mais vient d’abord au fait.
Je n’ay le lieu ny le temps à souhait,
Commença-t-il ; puis je tiens inutile
De tant tourner ; il n’est que d’aller droit.
Partant, Madame, en un mot comme en mille,
Vostre beauté jusqu’au vif m’a touché.
Penseriez vous que ce fust un peché
Que d’y répondre ? Ah ! je vous crois, Madame,
De trop bon sens. Si j’avois le loisir,
Je ferois voir par les formes ma flame,
Et vous dirois de cet ardant désir
Tout le menu ; mais que je brusle, meure,