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CINQUIESME PARTIE.

Ce fut en vain ; le peu d’experience,
L’humeur farouche, ou bien l’aversion,
Ou tous les trois firent que la bergere,
Pour qui l’amour étoit langue étrangere,
Répondit mal à tant de passion.
Que fit l’amant ? Croyant tout artifice
Libre en amours, sur le rez de la nuit[1]
Le compaguon détourne une genisse
De ce bétail par la fille conduit.
Le demeurant, non conté par la belle
(Jeunesse n’a les soins qui sont requis),
Prit aussi-tôt le chemin du logis.
Sa mere, étant moins oublieuse qu’elle,
Vid qu’il manquoit une piéce au Troupeau.
Dieu sçait la vie ! elle tance Isabeau,
Vous la renvoye ; et la jeune pucelle
S’en va pleurant, et demande aux échos
Si pas un d’eux ne sçait nulle nouvelle
De celle-là, dont le drôle à propos
Avoit d’abord étoupé la clochette :
Puis il la prit, et, la faisant sonner[2],
Il se fit suivre ; et tant que la fillette
Au fonds d’un bois se.laissa détourner.
Jugez, Lecteur, quelle fut sa surprise
Quand elle oüit la voix de son amant.
Belle, dit-il, toute chose est permise
Pour se tirer de l’amoureux tourment.
A ce discours, la fille toute en transe
Remplit de cris ces lieux peu frequentez
Nul n’accourut. O belles ! évitez
Le fonds des bois, et leur vaste silence.

  1. Edition de Henry Desbordes, 1685 :
    … Sur le coy de la nuit.
  2. Edition de Henry Desbordes, 1685 :
    Puis il la prit, puis la faisant sonner.