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CINQUIESME PARTIE.

Il me prétend avoir par des presens :
Moy, des presens ! c’est bien choisir sa femme.
Tenez, voila rubis et diamans ;
Voila bien pis ; c’est mon portrait, Madame :
Assurément de memoire on l’a fait,
Car mon Epoux a tout seul mon portrait.
A mon lever, cette personne honnête
Que vous sçavez, et dont je tais le nom,
S’en est venue, et m’a laissé ce don.
Vôtre parent merite qu’à la tête
On le luy jette, et s’il étoit icy…
Je ne me sens presque pas de colere.
Oyez le reste : il m’a fait dire aussi
Qu’il sçait fort bien qu’aujourd’huy pour affaire
Mon mari couche à sa maison des champs ;
Qu’incontinent qu’il croira que mes gens
Seront couchez et dans leur premier somme,
Il se rendra devers mon cabinet.
Qu’espere-t-il ? pour qui me prend cet homme ?
Un rendez-vous ! est-il fol en effet ?
Sans que je crains de commettre Geronte,
Je poserois tantôt un si bon guet,
Qu’il seroit pris ainsi qu’au trebuchet,
Ou s’enfuiroit avec sa courte honte.
Ces mots finis, Madame Aminte sort.
Une heure aprés Cleon vint ; et d’abord
On luy jetta les joyaux et la boëte :
On l’auroit pris à la gorge au besoin.
Eh bien ! cela vous semble-t-il honnête ?
Mais ce n’est rien, vous allez bien plus loin.
Alis dit lors mot pour mot ce qu’Aminte
Venoit de dire en sa derniere plainte.
Cleon se tint pour dûment averti.
J’aymois dit-il, il est vray, cette belle ;
Mais, puisqu’il faut ne rien esperer d’elle,
Je me retire et prendray ce parti.
Vous ferez bien ; c’est celuy qu’il faut prendre,
Luy dit Alis. Il ne le prit pourtant.