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CINQUIESME PARTIE.

Feindre les noms ; le reste de l’affaire
Se peut conter sans en rien déguiser :
Mais, quant aux noms, il faut au moins les taire,
Et c’est ainsi que je vais en user.
 
 Prés du Mans donc, pays de Sapience,
Gens pesans l’air, fine fleur de Normand,
Une pucelle eut n’aguere un amant
Frais, delicat, et beau par excellence ;
Jeune sur tout, à peine son menton
S’étoit vétu de son premier coton.
La fille étoit un parti d’importance ;
Charmes et dot, aucun poinct n’y manquoit ;
Tant et si bien, que chacun s’appliquoit
A la gagner ; tout le Mans y couroit.
Ce fut en vain ; car le cœur de la fille
Inclinoit trop pour nôtre Jouvenceau :
Les seuls parens, par un esprit Manceau,
La destinoient pour une autre famille.
Elle fit tant autour d’eux que l’amant,
Bon gré, malgré, je ne sçay pas comment,
Eut à la fin accés chez sa maîtresse.
Leur indulgence, ou plûtôt son adresse,
Peut être aussi son sang et sa noblesse,
Les fit changer : que sçay-je quoy ? tout duit
Aux gens heureux, car aux autres tout nuit.
L’Amant le fut : les parens de la Belle
Sceurent priser son merite et son zele.
C’étoit là tout. Eh ! que faut-il encor ?
Force contant ; les biens du siecle d’or
Ne sont plus biens, ce n’est qu’une ombre vaine.
O temps heureux ! je prévois qu’avec peine
Tu reviendras dans le pays du Maine !
Ton innocence eût secondé l’ardeur
De nôtre Amant, et hâté cette affaire ;
Mais des parens l’ordinaire lenteur
Fit que la Belle, ayant fait dans son cœur
Cet hymenée, acheva le mystere