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CONTES ET NOUVELLES.

Claquemurer jusques à l’hymenée.
Moy qui vous parle ay même destinée ;
J’en garde au cœur un sensible regret :
J’eus trois enfans avant mon mariage.
A vôtre pere ay-je dit ce secret ?
En avons-nous fait plus mauvais ménage ?
Ce discours fut à peine proferé,
Que l’écoutant s’en court, et tout outré,
Trouve du bast la sangle, et se l’attache,
Puis va criant par tout : Je suis sanglé !
Chacun en rit, encor que chacun sçache
Qu’il a dequoy faire rire à son tour.
Les deux maris vont dans maint carrefour
Criant, courant, chacun à sa maniere,
Basté le gendre, et Sanglé le beau-pere.
On doutera de ce dernier poinct-cy ;
Mais il ne faut telles choses mécroire.
Et, par exemple, écoutez bien cecy :
Quand Roland sceut les plaisirs et la gloire
Que dans la grotte avoit eus son Rival,
D’un coup de poing il tua son cheval.
Pouvoit-il pas, trainant la pauvre bête,
Mettre de plus la selle sur son dos ?
Puis s’en aller, tout du haut de sa tête,
Faire crier et redire aux Echos :
Je suis basté, sanglé ! car il n’importe,
Tous deux sont bons. Vous voyez de la sorte
Que cecy peut contenir verité.
Ce n’est assez, cela ne doit suffire ;
Il faut aussi montrer l’utilité
De ce recit ; je m’en vais vous la dire.
L’heureux Damon me semble un pauvre sire :
Sa confiance eut bien-tôt tout gâté.
Pour la sotise et la simplicité
De sa moitié, quant à moy, je l’admire.
Se confesser à son propre mary !
Quelle folie ! Imprudence est un terme
Foible à mon sens pour exprimer cecy.