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CONTES ET NOUVELLES.

De l’autre enfer la demeure profonde.
Pour comble enfin, Roderic épousa
La parenté de Madame Honnesta,
Ayant sans cesse et le pere et la mere,
Et la grand’sœur avec le petit frere ;
De ses deniers mariant la grand’sœur,
Et du petit payant le Precepteur.
Je n’ay pas dit la principale cause
De sa ruine, infaillible accident ;
Et j’oubliois qu’il eut un Intendant.
Un Intendant ? qu’est-ce que cette chose ?
Je definis cet être, un animal
Qui, comme on dit, sçait pécher en eau trouble,
Et plus le bien de son maitre va mal,
Plus le sien croist, plus son profit redouble,
Tant qu’aisément luy même acheteroit
Ce qui de net au Seigneur resteroit :
Donc par raison, bien et dûment déduite,
On pourroit voir chaque chose reduite
En son état, s’il arrivoit qu’un jour
L’autre devinst l’Intendant à son tour,
Car regagnant ce qu’il eut étant maître,
Ils reprendroient tous deux leur premier être.
Le seul recours du pauvre Roderic,
Son seul espoir, étoit certain trafic
Qu’il pretendoit devoir remplir sa bourse,
Espoir douteux, incertaine ressource.
Il étoit dit que tout seroit fatal
A nôtre époux ; ainsi tout alla mal :
Ses agents, tels que la plûpart des nôtres,
En abusoient : il perdit un vaisseau,
Et vid aller le commerce a vau-l’eau,
Trompé des uns, mal servy par les autres.
Il emprunta. Quand ce vint à payer,
Et qu’à sa porte il vit le creancier,
Force luy fut d’esquiver par la fuite,
Gagnant les champs où de l’âpre poursuite
Il se sauva chez un certain fermier,