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A D O N I S .

Il n’auroit pas si-tost traversé l’onde noire.
Comment l’auroit-il creu, puis qu’en vain ses amours
L’avoient sollicité d’avoir soin de ses jours ?
Par le beau Callion la troupe est augmentée.
Gilippe vient aprés, fils du riche Acantée.
Le premier, pour tous biens, n’a que les dons du corps ;
L’autre, pour tous appas, possede des tresors.
Tous deux ayment Cloris, et Cloris n’ayme qu’elle :
Ils sont pourtant parez des faveurs de la Belle.
Phlegre accourt, et Mimas, Palmire aux blonds cheveux,
Le robuste Crantor aux bras durs et nerveux,
Le Licien Telame, Agenor de Carie,
Le vaillant Triptoleme, honneur de la Syrie,
Paphe expert à luiter, Mopse à lancer le dard,
Lycaste, Palemon, Glauque, Hilus, Amilcar ;
Cent autres que je tais, troupe épaisse et confuse ;
Mais peut-on oublier la charmante Aretuse,
Aretuse au teint vif, aux yeux doux et perçans,
Qui pour le blond Palmire a des feux innocens ?
On ne l’instruisit point à manier la laine ;
Courir dans les forests, suivre un cerf dans la plaine,
Ce sont tous ses plaisirs : heureuse si son cœur
Eust pû se garentir d’amour comme de peur[1] !
On la void arriver sur un cheval superbe
Dont à peine les pas sont imprimez sur l’herbe ;
D’une charge si belle il semble glorieux :
Et, comme elle, Adonis attire tous les yeux :
D’une fatale ardeur déja son front s’allume ;
Il marche avec un air plus fier que de coûtume.
Tel Apollon marchoit quand l’enorme Piton
L’obligea de quitter l’ombre de l’Helicon[2].
Par l’ordre de Capis la troupe se partage.

  1. Manuscrit de 165?8 :
    Ce furent ses plaisirs, heureuse si son cœur
    Eust pû se rendre exempt d’amour comme de peur !
  2. Manuscrit de 16?58 :
    Tel autrefois marchoit de son double vallon
    Contre un vaste serpent le divin Apollon.