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DE SAINT MALC.

Pour sauver sa pudeur mit en danger sa vie :
Et le mesme coûteau qui dans mille besoins
L’aidoit à s’acquitter de ses champestres soins,
Ce coûteau, dis-je, alloit du Saint couper la trame :
L’imprudent Malc, voulant mettre à couvert son ame,
S’en alloit de sa main la livrer au Demon,
Fureur qui n’estoit pas indigne de pardon.
La lueur de l’acier avertit la bergere.
Que vois-je, cria-t-elle. O ciel ! qu’allez-vous faire ?
Je vais, répondit Malc, prévenir les combats
D’un œil toûjours présent, et toûjours plein d’appas.
Nous ne nous fuïrons plus : nostre ame est condamnée
Aux dangers qu’à sa suite entraisne l’hymenée.
Malgré nous desormais nous vivrons en commun :
Deux parcs nous hébergeoient, nous n’en aurons plus qu’un.
Helas ! qui l’auroit cru que cette inquietude
Nous chercheroit au fonds d’une âpre solitude !
J’apprehende à la fin que le Ciel irrité
N’abandonne nos cœurs à leur fragilité.
Cette faute entre époux nous semblera legere.
Il faut esperer mieux, dit la chaste bergere ;
Dieu ne quitera pas ses enfans au besoin.
Si mon sexe est fragile, il en prendra le soin.
Vous ay-je donné lieu d’en estre en défiance ?
Qu’ay-je fait pour causer cette injuste croyance ?
Votre soupçon m’outrage, et vous avez deu voir
Que je sçais sur mes sens garder quelque pouvoir.
Quand mon cœur auroit peine à s’en rendre le maistre,
Estes-vous mon époux ? et le pouvez-vous estre ?
Nous a-t-on pu lier sans sçavoir si la mort
M’a ravy ce mari qui m’attache à son sort ?
Vous vous alarmez trop pour un vain hymenée.
Je vous rends cette main que vous m’avez donnée.
Dissimulez pourtant, feignez, comportez-vous
Comme frere en secret, en public comme époux.
Ainsi vescut toûjours mon mary veritable ;
Et si la qualité de Vierge est souhaitable,
Je la suis : j’en fis vœu toute petite encor.