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PHILEMON ET BAUCIS.

Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures
Pour presider icy sur les honneurs divins,
Et Prêtres vous offrir les vœux des Pelerins ?
Jupiter exauça leur priere innocente.
Helas ! dit Philémon, si vôtre main puissante
Vouloit favoriser jusqu’au bout deux mortels,
Ensemble nous mourrions en servant vos autels.
Cloton feroit d’un coup ce double sacrifice ;
D’autres mains nous rendroient un vain et triste office ;
Je ne pleurerois point celle-cy, ny ses yeux
Ne troubleroient non plus de leurs larmes ces lieux.
Jupiter à ce vœu fut encor favorable :
Mais oseray-je dire un fait presque incroyable ?
Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvis
Ils contoient cette histoire aux Pelerins ravis,
La troupe à l’entour d’eux debout prétoit l’oreille ;
Philémon leur disoit : Ce lieu plein de merveille
N’a pas toûjours servi de temple aux Immortels :
Un Bourg étoit autour, ennemy des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies ;
Du celeste couroux tous furent les hosties.
Il ne resta que nous d’un si triste debris :
Vous en verrez tantost la suite en nos lambris ;
Jupiter l’y peignit. En contant ces annales,
Philémon regardoit Baucis par intervales ;
Elle devenoit arbre, et luy tendoit les bras :
Il veut luy tendre aussi les siens, et ne peut pas.
Il veut parler, l’écorce a sa langue pressée.
L’un et l’autre se dit adieu de la pensée :
Le corps n’est tantôt plus que feüillage et que bois.
D’étonnement la Troupe, ainsi qu’eux, perd la voix.
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;
Baucis devient Tilleul, Philémon devient Chêne.
On les va voir encore, afin de meriter
Les douceurs qu’en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux sejournent sous leur ombre,
Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans.