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CONTES ET NOUVELLES.

Bien est-il vray qu’auprés d’une beauté
Paroles ont des vertus nompareilles ;
Paroles font en Amour des merveilles :
Tout cœur se laisse à ce charme amollir.
De tels brevets je veux bien me servir ;
Des autres, non. Voicy pourtant un Conte
Où l’Oraison de Monsieur S. Julien
A Renaud d’Ast produisit un grand bien[1]
S’il ne l’eust dite, il eust trouvé méconte
A son argent, et mal passé la nuit.
Il s’en alloit devers Chasteau-Guillaume :
Quand trois Quidams (bonnes gens, et sans bruit,
Ce luy sembloit, tels qu’en tout un Royaume
Il n’auroit cru trois aussi gens de bien)
Quand n’ayant, dis-je, aucun soupçon de rien,
Ces trois Quidams, tout pleins de courtoisie
Aprés l’abord, et l’ayant salüé
Fort humblement : Si nostre compagnie,
Luy dirent-ils, vous pouvoit estre à gré,
Et qu’il vous plust achever cette traite
Avecque nous, ce nous seroit honneur.
En voyageant, plus la troupe est complete,
Mieux elle vaut ; c’est toûjours le meilleur.
Tant de Brigands infectent la Province,
Que l’on ne sçait à quoy songe le Prince
De le souffrir : mais quoy ! les mal-vivans
Seront toûjours. Renaud dit à ces gens,
Que volontiers. Une lieuë estant faite,
Eux discourant, pour tromper le chemin,
De chose et d’autre, ils tomberent enfin
Sur ce qu’on dit de la vertu secrete

    blier que cette nouvelle est imitée de Bocace, car on pourroit chercher en France ce Château-Guillaume, sur lequel La Fontaine ne nous donne aucun détail. Nous voyons dans le conteur italien qu’il s’agit de Castel Guiglielmo, au sortir de Ferrare, sur le chemin de Vérone.

  1. On lit dans la 1re édition Regnauld au lieu de Renaud.